André Bristlecone (1879-1940)
L’enfance
André
Bristlecone (André Bollet) est né le 14 août 1879 à Baltimore (US). Il est le
fils de Théodore Bollet, médecin militaire alsacien et de Viviane Schumarer,
fille d’un riche entrepreneur strasbourgeois.
Dés la
victoire allemande et l’annexion de l’Alsace-Lorraine et en opposition à
l’opinion familiale, ses parents quittent l’Alsace, refusant de devenir
allemands et laissant derrière eux leurs proches faisant une croix sur leur
héritages.
Le
père s’engage auprès de la Commune et s‘oppose à la capitulation de la France.
En 1871, il échappe de peu à la purge durant la semaine sanglante de Paris.
En
opposition à la nouvelle république, le couple émigre aux Etats-Unis en 1873.
1879,
l’année de naissance d’André est marquée par le décès de sa soeur aînée,
Lucette, qui a contracté la tuberculose à cause de son père, porteur de la
maladie. Dès lors, se sentant responsable de la mort de sa fille, le père
décide de ne plus toucher son fils de peur de le contaminer. André mentionne
régulièrement dans ses mémoires, la figure d’un père lointain, austère et
triste, « une statue de pierre qui
doucement et toujours s’enfonce dans le sol ».
Son
père meurt en 1892, laissant à André, alors âgé de 13 ans, l’héritage d’une
vaste bibliothèque constituée notamment des quelques ouvrages de références sur
le scientisme du 19ème siècle, dont le père était partisan. C’est
dans cette lecture, en français, qu’André puise un début de connaissance
scientifique et surtout « le goût de
l’expérience ».
Élevé
par sa mère, il la suit régulièrement dans tous les salons bourgeois de
Baltimore dans lesquels il lui sert de traducteur, elle qui n’a jamais réussi à
parlé correctement anglais. Alcoolique et dépressive, Viviane Bollet, sombre
doucement dans une folie douce. « Je
devais traduire les malheurs de ma mère. J’imitais le moindre de ses
gestes : je tremblais, je penchais la tête, …. Peu à peu, je devenais
réellement triste et l’assemblée pleurait parfois. Alors, avec la compassion
des bourgeoises, nous pouvions partir, et, dans un autre salon, en boucle, on
recommençait la même histoire.»
The
Crying Gamer
Passionné par l'histoire, la
géologie, la littérature, l'électrodynamisme, la chimie, la biologie ou encore
l’électricité, André entame en 1898 des études de médecine sur les traces de son
père. Il doit abandonner au bout de 3 ans faute d’argent, sa mère ayant
dilapidé l’héritage familial. Il commence alors une série de petits
métiers et, passionné de sport, il entame même étonnamment une très brève
carrière de boxeur.
En
1902, il entre finalement au Baltimore
Sun comme garçon de course. Grâce à sa connaissance de la langue française
et sa culture générale, il se fait vite remarquer, fait des traductions pour le
journal, devient pigiste la même année, puis journaliste sportif.
En
1905, il signe son premier article sous le pseudonyme d’André Bristlecone en
référence au pin de Bristlecone, arbre de Californie considéré comme le plus
vieil organisme vivant au monde et qui était selon lui « le symbole de la transformation permanente dans la continuité de
mes racines les plus profondes ». Il gardera ce pseudonyme toute sa
vie.
Le pin de Bristlecone © Rick Goldwasser |
Son
premier article à succès porte le titre prémonitoire de ce qui deviendra son
obsession jusqu’à la fin de sa vie : Thomas
Eakins, the crying gamer (lire l’article). Dans cet article emblématique,
Bristlecone raconte le déroulement d’un match d’un célèbre boxeur de l’époque
en passant au crible toutes les émotions que ce dernier traverse pendant
l’épreuve.
Extrait de l’article, The crying gamer :
«Brutalement, alors que le match dure depuis 55 minutes, nous sommes dans le 12ème round, Tommy Ryan se jette sur son adversaire comme s’il était heureux de le retrouver après une longue absence. La foule est médusée. Un grand silence traverse le Colliseum et, dans la fatigue et l’exténuement, les coups de Eakins deviennent des caresses. La violence soutenue du match disparaît tout à coup laissant place à un étrange ballet, à un jeu de tendresse. Une autre texture a enrobé le ring et les adversaires, c’est du velours. Alors dans un dernier et presque langoureux geste de boxe, le champion assène un superbe et définitif upercut à son adversaire. Mysterious Billy Smith tombe, il est KO. Tommy Ryan lève les bras au ciel. On croit voir dans ses yeux la douleur d’un amour achevé. Une larme brille, s’écoule, se mêle au sang et à la sueur. Le match est terminé.»
Consultez
les archives du Baltimore Sun :
http://www.prattlibrary.org/research/database.aspx?id=23026
Désormais,
dans ses articles et comptes-rendus sportifs, Bristlecone prend l’habitude et
la manie de décortiquer dans les moindres détails les états sensibles des
sportifs qu’il observe. Qu’ils soient boxeurs, athlètes, footballeurs, lutteurs
et même jockeys, Bristlecone décrypte leurs attitudes et leurs émotions lors
des compétitions. Il les interprète ensuite à sa guise en s’imaginant parfois
être à l’intérieur de la tête des sportifs.
L’aspect
lyrique et très personnel de ces articles a un certain succès même si parfois
l’interprétation un peu fantasque du journaliste a pu donner lieu à quelques
conflits.
Tommy Ryan, The Crying Gamer |
La rencontre du maître
Entre
les mois de janvier et juillet 1910, André Bristlecone réalise pour le Sun une série d’interviews du célèbre
philosophe William James, alors sur le point de mourir.
La rencontre est électrique.
Bristlecone est tout de suite fasciné par l’humour et la personnalité de cet
homme hors du commun, grand voyageur, théoricien subtil du lien émotions/subconscient,
tenant d’une théorie pragmatique de la vérité, l’inventeur de la psychologie
moderne. Bristlecone prend conscience de la relativité de ses perceptions car
en fin de compte, comme dit James, « la
réalité concrète se compose exclusivement d'expériences individuelles ».
Obnubilé
dans ses propres travaux par le lien entre physiologie et métaphysique,
Bristlecone s’immerge dans les œuvres de James, notamment Principes de la psychologie, dans lequel ce dernier expose sa
théorie sur les émotions. D’après lui, l’émotion traduit une réponse aux
modifications physiologiques, en clair, c’est le geste qui crée l’émotion : « Nous sommes affligés parce que nous
pleurons, irrités parce que nous frappons, effrayés parce que nous tremblons et
non pas, nous pleurons, frappons, tremblons parce que nous sommes affligés,
irrités ou effrayés ». Bristlecone met alors des mots sur ses propres
pensées et trouve en James le théoricien de ses idées.
Cette
rencontre marque un tournant décisif dans sa vie. Il se considère dès lors
comme l’héritier moral du grand philosophe et, reconnaissant, souhaite faire
partager leurs entretiens au plus grand nombre. En 1911, il décide de les
publier sous le nom Les mémoires de James
(en français dans le texte). Malheureusement, la valeur testamentaire de ce
texte fut vivement contestée par les héritiers légaux de James, qui en
interdirent la publication.
« Au cœur de la vie psychique, le courant de la conscience ne cesse de se creuser un lit à travers la multitude de nos impressions sensorielles.»
William James
Les conférences : The physicality of emotions
Malgré un procès douloureux
duquel il ressort coupable d’escroquerie et de malversation à l’égard de
William James et de ses fils, André Bristelcone continue de porter la pensée du
maître. En 1913, il entreprend à ses frais une série de conférence sur le thème
de l’expression physique des émotions.
Il y défend l’idée que ce sont les réactions physiques qui créent l’émotion et non l’inverse. Inspiré
par le pragmatisme de James, il tente de démontrer qu’il est possible de créer
des émotions en pratiquant des actions mécaniques. Il mène pour cela une série
d’expériences sur le public.
En 1915, il profite du climat de la première guerre mondiale pour se concentrer sur l’acte de pleurer car dit-il « les larmes doivent laver le monde de nos passions négatives ». L’ésotérisme de ses pratiques, mais aussi le charme de Bristlecone et son enthousiasme, ont un franc succès et la catharsis a finalement bien lieu lors de ses conférences où les femmes surtout se bousculent pour venir pleurer.En 1917, il lance « The Onion Project » et construit son premier mur d’oignons à Seattle, un projet qui l’accompagnera jusqu’à la fin de sa vie.
Les années noires et la rencontre avec Tesla
Nikola Tesla, le truculent savant et multiple inventeur, parle « d’André, le gentil français, qui chaque jour venait me voir pour essayer de canaliser le flux électrique des énergies produites par des passions ou des colères». De cette rencontre probable avec Tesla, Bristlecone a sans doute réussi à concevoir les concepts et les plans de ses premières machines.
En 1915, il profite du climat de la première guerre mondiale pour se concentrer sur l’acte de pleurer car dit-il « les larmes doivent laver le monde de nos passions négatives ». L’ésotérisme de ses pratiques, mais aussi le charme de Bristlecone et son enthousiasme, ont un franc succès et la catharsis a finalement bien lieu lors de ses conférences où les femmes surtout se bousculent pour venir pleurer.En 1917, il lance « The Onion Project » et construit son premier mur d’oignons à Seattle, un projet qui l’accompagnera jusqu’à la fin de sa vie.
Les années noires et la rencontre avec Tesla
Nikola Tesla, le truculent savant et multiple inventeur, parle « d’André, le gentil français, qui chaque jour venait me voir pour essayer de canaliser le flux électrique des énergies produites par des passions ou des colères». De cette rencontre probable avec Tesla, Bristlecone a sans doute réussi à concevoir les concepts et les plans de ses premières machines.
André Bristlecone sillonne
alors les Etats-Unis pour mener ses conférences jusqu’en 1920 où il est arrêté
à nouveau pour escroquerie. Sa mère meurt en 1921 alors qu’il est en prison. Il
en sort en 1923 mais il est arrêté de nouveau l’année suivante du fait de son
implication dans un scandale de matchs de boxes truqués.
Pauvre, conspué par la presse
et même interdit de journalisme, André Bristlecone garde sous silence ses
activités entre 1925 et 1930. On peut, cependant, présumer qu’il développe à ce
moment ses premières machines électrodynamiques.
Les marathons de danse
En 1930, Britlecone est
présentateur des fameux marathons de danse du Green's
Palace Ballroom de Baltimore. Malgré la récession économique qui frappe les
Etats-Unis, c’est le début d’une période faste pour Bristlecone. Grâce à son
talent d’orateur et son dynamisme pour faire danser les foules, Bristlecone
trouve à nouveau une tribune à l’expression de ses idées, ce qui sonne comme
une revanche après des années difficiles. Il trouve aussi le terrain d’une
observation et d’une expérimentation fabuleuse sur l’expression des émotions de
ces hommes et femmes qui dansaient jusqu’à l’exténuement.
Il écrit de nombreuses notes qui
analysent l’expression des émotions (la peur d’abandonner, la colère quand le
partenaire s’effondre, la joie d’être encore debout, …) des danseurs dans une
situation physique extrême. Ces notes furent utilisées par Horace McCoy,
l’auteur du livre They Shoot Horses, Don't
They? (1935)
et dont Sydney Pollack tirera son célèbre film.
On voit Bristlecone à la 40ème seconde de ce film :
Les machines de Bristlecone
En 1933,
toujours sous l’inspiration des idées et de la mission confiée par William
James, il remonte à nouveau une série de conférences enrichies cette fois par les fameuses machines de Bristlecone qui lui servaient à "pénétrer à l'intérieur de l'inconscient du public».
Convaincu de pouvoir changer le rapport à l'émotion, dans une société qui, sous le prétexte du besoin de rendement, demande aux hommes de plus en plus de cacher leurs émotions, Bristlecone se convainc de posséder un pouvoir surnaturel et s'engage ouvertement à combattre le rationalisme ambiant.
Convaincu de pouvoir changer le rapport à l'émotion, dans une société qui, sous le prétexte du besoin de rendement, demande aux hommes de plus en plus de cacher leurs émotions, Bristlecone se convainc de posséder un pouvoir surnaturel et s'engage ouvertement à combattre le rationalisme ambiant.
Malgré les attaques qu'il essuie de la part des féministes et surtout de la farouche Emma Goldmann qui l'accuse d'encourager une "sensiblerie de cuisine", c'est auprès des femmes qu'il remporte le plus grand succès et à qui il fait
pratiquer de mémorables séances de pleurs collectifs.
Une triste fin
Sujet à de
nombreuses controverses, victime d’une forte campagne anti-émotive à la fois misogyne
et féministe, ainsi qu’à des attaques personnelles liées à son passé, Bristlecone est
contraint de cesser ses activités en 1936.
Il rédige ses
mémoires en 1937 qui, malgré leur intérêt scientifique et le parcours
rocambolesque et fascinant de cet homme singulier, sont teintés d’une paranoïa
de plus en plus aigue.
En 1938, il
sombre dans une dépression nerveuse et solitaire qui le conduit à s’isoler
totalement dans son appartement.
Le 14 novembre, il est accusé du meurtre de sa voisine qu'il aurait tué d’un coup de couteau.
Le 14 novembre, il est accusé du meurtre de sa voisine qu'il aurait tué d’un coup de couteau.
Malgré le manque de preuve formelle, il est jugé
sans aucune circonstance atténuante par le tribunal de Seattle.
Il est
condamné à mort le 22 juin 1940, jour de l’armistice franco-allemand liant
l’Allemagne nazie et le futur gouvernement de Vichy.
En sa mémoire, on retiendra le merveilleux hommage posthume que le chanteur Johnnie Ray fera à Bristlecone en 1951.
En sa mémoire, on retiendra le merveilleux hommage posthume que le chanteur Johnnie Ray fera à Bristlecone en 1951.
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